Selon l’ouvrage « Comment regarder la sculpture, mille ans de sculpture occidentale » (C. Barbillon , 2017) sur l’origine d’une œuvre :
Le sculpteur peut partir d’une idée qu’il traduit dans la matière molle (terre, cire, plâtre…), un moulage, une mise aux points, une taille, une fonte, seul ou en collaboration pour réaliser une œuvre définitive. Cette façon de procéder correspond au « circuit long » (A. Pingeot).
Il y a aussi un « circuit court » qui correspond davantage aux sculpteurs du XX ème siècle, qui pratiquent plutôt la taille directe, l’art brut où l’artiste, seul et sans intermédiaire, créé son œuvre. Jusqu’au XXème siècle, la plupart des sculpteurs sont aussi dessinateurs, et s’en servent, avec ou sans modelage en complément, pour initier leur travail.
Enfin, l’idée peut provenir du monde littéraire, dont il peut se faire l’interprète, le transcripteur, la traducteur, ou une voie de continuité, à l’aide de son propre moyen d’expression, offrant un nouveau regard par le biais d’une autre forme – d’un autre espace de formulation – que, peuvent induire aussi, un autre contexte, un autre temps, un nouvel environnement, notamment.
Mais la sculpture de V.Batbedat, d’où vient-elle ? Comment a-t-il procédé ?
Car, de même qu’il existe une relation bien spécifique de l’auteur devant sa « page blanche », il en est apparemment de même pour le sculpteur devant cet équivalent que l’on pourrait nommer la pleine pierre ? Ou l’espace vide ? Par exemples.
Alors où seraient cachés ses motivations ? Ses étincelles de création ?
Si V.Batbedat s’inscrit davantage dans une catégorie « classique », sa méthode de travail s’accorde aux différentes façons de faire pré-citées, lesquelles correspondent à son époque, ses moyens, ses attentes et ses besoins aussi, notamment.
Ainsi, c’est à la suite d’un hiver dont le froid l’obligea à travailler à l’intérieur, que plusieurs dizaines de tours et ziggourats en terre furent érigées, s’inspirant les unes les autres, épurées et renouvelées au fil des jours.
Nombre d’entre elles furent l’objet de la magnifique exposition « Tours d’Ivoire et de terre » (Galerie Michèle Broutta, 1994). Certaines d’entre elles furent ensuite moulées et coulées en différents bronzes aux patines variées, la vente de premières sculptures offrant les moyens de les faire transformer et ainsi exister différemment et en plus d’exemplaires.
Parallèlement, un ensemble de dessins créés dans ce contexte hivernal, fut l’objet du livre de bibliophilie du même nom « Tours d’ivoire et de terre ».
Pour cet ensemble d’œuvres, je constate qu’un premier travail en initie un autre, et ainsi de suite.
En terre, V.Batbedat fait aussi des maquettes d’architectures « idéales » et de pierres qu’il taille ensuite parfois (ainsi la «composition musicale », notamment), ou des « têtes de sourire » qui, au fil de ses études, gagnent en proportions, puis sont moulées et parfois fondues, en bronzes aux patines variées, pour certaines.
Aussi son travail sur le sourire l’emmena vers un travail sur les masques, qu’il exprima en une multitude de dessins, puis en inox avec « les têtes feuilles » notamment.
Aussi son travail sur les vêtements, les inscriptions, dont il réalisa en hiver 1999 un ensemble intitulé « Les Manteaux de soleil » fut présenté à la Galeria Del Leone à Venise l’année suivante dans un premier temps, (avec un catalogue et une « édition de tête » à l’appui). Ces dessins initièrent une sculpture en inox : « Manteau », une autre en laiton : le « Gardien », ainsi que des terres qui furent coulées en bronze : « Manteaux I, II & III ».
Ainsi si le froid contraint V.Batbedat à travailler en intérieur l’incitant à prendre sa plume et à dessiner, ou à sculpter en petit format, son œuvre s’unifie néanmoins par les thèmes communs : les tours & les ziggourat, les passages de lumière, les sourires et la musique, basiquement.
Ces thèmes qu’il formule depuis ses débuts sont-ils l’objet de ses premiers rêves en réponse à l’enseignement ? La guerre ? La routine ? Le besoin ? La solitude ? la grisaille ? La foule ? La ville ? Etc. Et ses outils de mise en forme s’adaptent-ils plus simplement à ce qu’il a sous la main ? Car ne se lance-t-il pas dans la peinture sur bois le temps de reconstituer son bras cassé ?
Alors, si le climat et la santé furent au commencement d’aventures, il lui en fut plus simplement de même de commandes et de concours (privés et publics (1%)), qui lui furent autrement motivants.
On retrouve ainsi de nombreuses maquettes, tant en terre qu’en tubes carrés de cuivre de 0,5 cm de côté, pour figurer des œuvres monumentales, dont certaines ont aussi été sculpées en taille médiane (présentable en appartement), qu’elles aient ou non été réalisées à leur échelle escomptée.
Ainsi, qu’il s’agisse par exemple du « projet pour la ville de Meudon » (non réalisé), ou de celui pour la Chambre de Commerce et d’Industrie de « Mont-de-Marsan » sa région natale (1995, réalisé), la sculpture existe finalement sous les trois formats que sont : la maquette (ici en cuivre), en « format d’intérieur » (ici en inox) et en format prédéfini (ici monumental, en inox).
Un autre exemple de cette pluralité de formats est la sculpture « double pyramide », de Saint-Amand Montrond (1996).
De même en 1981, en réponse à une commande du Musée de Dijon, V.Batbedat sculpta une « tête heureuse », initialement travaillée en plâtre, en parallèle de lectures et relectures des lettres d’Héloïse et Abélard, dont il était initialement question. Parmi un ensemble réalisé, un plâtre fut choisit, qui devint un bronze, en un exemplaire unique destiné au Musée.
Enfin, pour en revenir au processus de création matériel, les structures de V.Batbedat sont quant à elles, en inox
essentiellement, l’aboutissement de nombreux schémas et calculs qui devancent et succèdent les maquettes de cuivre, minutieusement tracés sur des petits morceaux de papiers, ou des plus grands.
De même, son « mobilier », pour une part réalisé, n’est encore qu’à l’état de schémas et/ou de maquettes.
En conclusion, je comprends simplement qu’en dépit des contraintes physiques qui sont propres à chaque volume et selon son matériaux, l’emplacement auquel il peut être dédié, commencer avec un tracé en deux dimensions et/ou en petit volume a suffisamment permis au sculpteur à non seulement évaluer les pré-requis pour une réalisation pérenne, mais aussi à faire mûrir en soit la forme qu’il souhaitait exprimer. En prenant ce temps de conception, il gagnait non seulement en force et en idée, mais aussi en matériaux, par l’effet de moins de perte.
Si cette façon de faire est une question de tempérament, ou d’époque, elle n’en reste pas moins reproductible. Cependant, c’est certain, chacun a ses propres affinités et patiences, son propre tempérament, d’artiste, mais pas forcément .
Alors, ça commence comment, une vocation de sculpteur ?
Voir aussi : le catalogue de son exposition personnelle à Soissons