La sculpture et le vivant ?

18 Sep 2022

Bien sûr il y a des sculptures mobiles.

Bien sûr notre propre mobilité, en tant que spectateur, offre autant de regards à l’oeuvre et autant d’occasions de métamorphoses ; c’est une richesse incontestée de la « troisième dimension ».

Mais ?

Gilles Clément, plus que paysagiste, s’exprime lui-même ainsi dans  « Un Cercle immense » (éditions du Patrimoine, CMN, 2022):

« journaliste : La forme serait-elle le contraire de la vie ?

« G.C. : Non, la forme n’est pas le contraire de la vie. Mais contrairement à l’architecte qui fabrique une forme destinée à rester dans le temps sans se transformer, le paysagiste dessine quelque chose dans l’espace avec le vivant. Sa conception formelle a une importance esthétique, mais quand on arrive à l’idée que seule la forme a de l’importance (…), on se trouve hors sujet. Si l’on réfléchit de la sorte, on n’est plus dans le métier de paysagiste ou de jardinier, mais dans celui de peintre, de sculpteur ou d’architecte ».

Mon propos n’est pas ici de contredire ni de prouver quoique ce soit.

Mais je suis interpellée car le regard m’apparaît par nature attiré par le vivant, par tout ce qui apporte la vie, et la sculpture en premier lieu est destiné au regard.

Alors je souhaite répondre à cette réflexion de G.Clément, concernant les œuvres de V.Batbedat.

D’où ma présente question et proposition de réponse : où est le vivant, dans ces sculptures, effectivement statiques pour la plupart ?

V. Batbedat n’a cessé de faire des éloges, qu’il s’agisse par exemple de formes : l’angle droit, le carré, le manteau… de sentiment : le sourire, de mouvement : les parcours, notamment. Car pour lui sculpter signifiait faire éloge.

Selon lui, il ne devait exprimer que des choses positives. Sinon rien.

C’était là sa « fonction », son « rôle » : « passer » – la vie, en son sens de la joie, de la construction, et vraiment pas l’inverse.

Et si certains voient ici le fruit d’une seule éducation où d’une époque où « on ne se plaint pas », où « tout va bien », je pense qu’il s’agit essentiellement d’une façon de vivre.

Ainsi dans les textes qui accompagnent « Les Manteaux de Soleil » (Catalogue d’exposition, 1999), il dit :

« A tous tous les sculpteurs inconnus de tous les temps et de tous les lieux.

« A tous ceux qui n’ont pas signé l’oeuvre et dont le nom reste inconnu (…)

« A tous ceux qui ont compris que la pierre est aussi sacrée que l’esprit de l’homme (…)

« A tous ceux qui ont vu que le monde est un jeu comme une composition musicale (…)

A tous ceux qui ont aimé l’homme et qui l’ont signifié à leur manière dans l’argile douce (…)

« (…)

« … je tisse un Manteau de soleil ».

Lesquels manteaux prendront la forme de sculptures, aussi.

Mais limite-t-il la vie au thème de sa sculpture ? A son titre ?

Tout Gascon qu’il est, je crois que cela ne saurait lui suffire…

Bien sûr il y a « son art et sa manière », mais non sans la lumière, non sans les ombres générées, sans les vibrations des matériaux polis ou burinés, sans leur matière, sans leur texture, sans leur teinte, sans leur environnement, qu’il ne peut lui même pré-définir et pour autant contrôler.

Ainsi qui ne peut ressentir la douceur d’un ailleurs ensoleillé en déambulant entre des sculptures de grès rose et des kilims (exposition à la galerie Triff à Paris, 1991) ? qui peut échapper au charme d’un soleil couchant ou levant se reflétant sur un « mur transparent » en inox ? ou à la puissance de la pleine lune redessinant si différemment et avec tant de force et de précision les contours d’oeuvres en inox, telles que le « signe du temps » ou les « deux carré», au coeur de la nuit ?

Bien sûr une oeuvre s’intègre à son environnement.

Bien sûr la sculpture ne grandit pas de même qu’un végétal ou un animal.

Mais elle en dépend ; elle peut s’y confondre, s’en détacher, le refléter…

Ainsi, en dépit de son statisme la sculpture de V. Batbedat, quasiment aussi sédentaire qu’un arbre, mais sans autre semence que les regards suscités – c’est-à-dire ce que nous en percevons, nous, spectateurs – comme un arbre aussi, elle dépend des éléments de la nature qui l’animent indubitablement – les vibrations du vent qui s’y engouffre, les tintements et les résonances de la pluie qui s’y heurte, les métamorphoses de proportions que lui procurent les lumières et leurs teintes, sans compter l’infinie pluralité de ce que nos regards en perçoivent, chacun à leur façon et sans lesquels elles n’existent pas, non plus, telles que nous-mêmes.

La plupart des sculptures de V.Batbedat ont ainsi une belle place destinée en extérieur.

Comme nous elles s’y adaptent et les éléments apportés lui sont comme autant de moyens de nous surprendre en se révélant à nous sous des angles nouveaux, aussi variés que surprenant, et qui sait, nous y découvrant nous même.

Aussi les « plaques tournantes », plaques de cuivre mobiles dont le graphisme varie indéfiniment à la lumière fixe qui l’accompagne, sont des sculptures d’intérieur. Alors serait-ce là une façon d’inviter et d’installer un petit extérieur en dedans ? Une nouvelle proposition de jardin d’appartement ? Le temps de traverser l’hiver ? Ou la ville ?

Enfin, pour conclure, s’il est certain que des sculptures d’inox, de terre, de pierre, de bronze…, gardent leur structure, dont l’érosion – ou le saccage – en sont les seuls vieillissements et l’« occasion de transformation », il est aussi certain que nos regards en sont une sève, un unique moyen d’existence, par la simple reconnaissance, et au-delà de sa propre forme, de son esthétisme, pour reprendre ce qui signifie G. Clément.

Alors au lieu de « l’enfer c’est l’autre », j’aime dire que le jardin c’est l’autre, et inversement, et non sans lien, et dans le sens de l’éloge, bien sûr.

Votre panier0
Le panier est vide !
Continuer les achats