“Regarder” ou étymologiquement : “chercher à voir“, “observer“, “prendre en considération“, “respecter“… Si ce mot a bien évoluer depuis le XIVème siècle au moins, son sens actuel reste changeant et relatif au contexte culturel dans lequel il s’emploie.
M. Mousseau dans “Le temps de peindre” de H. Labrusse indique que “l’art n’est pas fascination mais modification du regard, en direction de l’inaperçu“.
Le regard est-il dès lors ce chercheur, curieux, que la “trouvaille” seule repose ? De sorte que l’espace, la distance en soit, s’arrête un temps pour accueillir un regard en quête ?
Le notion de perspective établit un proche et un lointain, c’est-à-dire une distance, autrement dit une mesure à l’espace, offrant un cadre où pouvoir rêver, comprendre, discerner… Quant à “Spatium” en latin, il désigne l’intervalle, aussi la distance, puis la promenade, qui engendrera peut être le mot “Stadium” qui désigne (en grec) l’ampleur d’un parcours ou d’un jeu (c’est-à-dire un espace démesuré et limité). Ainsi les mesures constituent un “lieu”, autrement dit un “point de rencontre ou de convergence”, tel un “totem” : qui canalise.
Reverdy écrivait : “l’oeuvre est le lieu de rendez-vous que le poète donne aux hommes, le seul où il vaille vraiment la peine d’aller le trouver“. Ainsi le lieu constitue l’oeuvre, qui le lui rend, pour le bonheur attendu de regards rêveurs qui viendraient s’y poser…
Or si le regard existe ainsi, il se définit à l’occasion d’une “rencontre” qui arrête sa “course”, sa quête, son vagabondage, son doute, sa réflexion, son errance… l’invitant à se ressourcer, se construire, se structurer, et devenir “vertébral” c’est-à-dire fondé : vrai.
D.Vallier, dans “la rencontre Kandinsky-Schonberg” (p 28-29, Edition L’Echoppe), raconte comment : “la composition musicale, comme la composition picturale, devient un ensemble ouvert. (…). Schonberg interroge la spécificité du son, notamment le timbre, Kandinsky réfléchit sur les propriétés de chaque couleur (…).” délaissant le point de fuite, la perspective, les accords traditionnels qui impliquaient des notions de milieu, de début, de fin au profit d’autres équilibres.
Ainsi le regard se développant, construit sa perception, personnellement, selon son intime et propre sens.
V.Batbedat était joueur bien sûr, et voyageur aussi. C’était un rêveur sûrement mais plus encore un observateur. Son travail sur la ligne, la lumière et le mouvement, qu’il a continuellement développé à travers ses réalisations, l’a fait qualifier de sculpteur géométrique construit, participant aussi à l’Op art.
Cherchant avant tout la structure des êtres – et peut-être ainsi leur secret de durabilité… -, imprégné comme tant d’artistes de sa génération par la mémoire de la guerre, il était aussi peut-être “naturellement” incité à toujours (re)construire, positivement, de façon pérenne et le plus grand possible, peut-être aussi pour le plus de monde possible…
Or L’op art, qui met en doute le regard, est aussi une autre et “simple” façon de (dé)jouer (avec) les regards – ou de présumer à quelques tours de magie, et de détachement. Il ne s’agissait pas pour lui d’indiquer comment regarder sinon de simplement de proposer et de montrer qu’il y a une infinité de possibilités de regarder, parmi lesquelles (se) choisir.
Aussi refusait-il de transmettre une oeuvre triste ou thérapeutique. Pour lui les bonnes choses devaient être partagées et les moins bonnes bonifiées, avant d’être transmises, à leur tour, pour un bonheur partagé.
Ainsi ses structures, qui sont toutes des dialogues d’ombre(s) et de lumière(s) – celle-ci lui manquant terriblement à Paris -. Ce manque est à l’origine de l’ensemble de son travail, qui ainsi semble le consoler – de façon tant essentielle qu’originale : si bien qu’en déclinant des tubes carrés creux d’inox en angles droits il dessine des courbes où les lumières se réfléchissent et se dégradent en camaïeux de gris changeant, au fil du temps, ou en éclats, ou en graphismes que le soleil et la lune dessinent de façon différentes : l’un au moyen d’ombres et l’autre au moyen de creux.
Il était lui-même surpris par la plupart de ses résultats. Même s’il en était le metteur en scène – le géomètre, il était perpétuellement surpris devant ces imprévu(s). L’infinité des résultats offerts par ses sculptures objets des lumières naturelles changeantes, l’émerveillait sans cesse. De même, il l’était par les ressources cachées du regard par-delà ses habitudes. Il était ainsi en dialogue renouvelé et permanent avec la sculpture et la vie. Cette simple force lui a permis de construire son oeuvre, de garder sa joie vivante, de se renouveler et d’oser des ouvertures, dont ses sourires sont autrement l’expression.
Alors depuis le regard chercheur, puis rêveur, puis joueur, puis questionné, puis souriant, le propos de ces sculptures semble commun : regarder pour passer un bon moment afin que cela aide à vivre heureux, découvrant les beautés infinies et insoupçonnées de la vie – sans plus de guerre et le plus loin possible de ce qui y mène.
Le catalogue de Sculpt’en Sologne de 2011 le site : « Je ne sais rien du monde ni des hommes – mais je sais modeler l’argile, tailler la pierre et souder l’acier. Je ne sais rien du monde ni des hommes mais j’ai en moi le sens de la Sculpture et celui des proportions. Et je crois que cela suffit. En tout cas, cela suffit à me combler, du moment où je peux les exercer aussi naturellement que je respire. Car si je ne vois pas tout, je regarde tout et tout ce que je vois me rend heureux parce que cela me fait participer, à mon échelle dérisoire, à l’harmonie du monde. »